Owni, objet web non identifié

Automne galactique pour ce site internet d’information français né en 2009. Owni.fr,  média social européen consacré au «digital journalism » auréolé du prix Online Journalism Awards de « meilleur site en langue non-anglaise », a rencontré Julian Assange . Le fondateur de Wikileaks a même sollicité ces petits Frenchies pour sortir les carnets de guerre concernant l’Irak. Rencontre avec les capitaines de la soucoupe owni, pionniers d’un webjournalisme transversal et transnational .

PARIS/CLAUDINE GIROD

Article publié dans Le Courrier, quotidien indépendant de Genève dans l’édition du 18 décembre 2010

«Be calm». L’affichette trône en bonne place dans son bureau de la rue de Malte, dans le 11e arrondissement de Paris. Pas question pour Nicolas Voisin, jeune PDG de «22 mars Social Media Editor», société éditrice du site owni.fr, d’oublier qu’il faut garder la tête froide! «T’as vu les plans de nos nouveaux bureaux !», lance-t-il à Nicolas Kayser-Bril, le responsable du pôle datajournalisme, en lui tendant son I-phone. Déménagement imminent: les « owniens » sont déjà trop à l’étroit… « On grandit vite », glisse-t-il dans un sourire complice.

La vitesse de l’ascension de la galaxie owni pourrait donner le tournis à plus d’un. Mais ce jeune papa de 32 ans a déjà derrière lui une longue expérience d’entrepreneur au parcours atypique. Et il est bien entouré! Né en avril 2009, lors de la bataille contre la loi Hadopi, «Owni. Digital Journalism. Société, Pouvoirs et Cultures Numériques», réunit une vingtaine d’éditeurs et journalistes permanents – des salariés qui sont aussi des associés -, plus de 600 bloggeurs, des développeurs, des designers, des entrepreneurs, des étudiants et des chercheurs.

Un think tank à ciel ouvert

Ce média NEL (nés en ligne) par opposition aux MEL (mis en ligne, ou plutôt «morts en ligne», brocarde Nicolas Voisin pour dénoncer la pauvreté de la production multimédia des supports classiques) se vit aussi comme un «thinktank» à ciel ouvert.  Si le modèle économique du site est à but non-lucratif, owni est financé par la société 22 mars qui édite des sites web et développe des interfaces.

« Le défi aujourd’hui consiste à faire une économie mixte profit-non profit. On a créé une entreprise viable économiquement qui est indépendante et peut donc financer son média: owni. Nous sommes des éditeurs de code pour nos clients, des éditeurs de textes pour nos internautes », résume le capitaine de la «soucoupe» à l’adresse du terrien. «Nous avons fait le choix de ne pas s’en remettre au consommateur final ni à l’annonceur: l’information de qualité est à ce prix !»

Nicolas Voisin, s’il a la tête dans les réseaux, a donc bien les pieds sur terre. Et la conviction d’un entrepreneur: la liberté médiatique passe par l’indépendance financière. Bien des aventures sur le web se sont cassé les dents sur la question des modèles de financement… Mais il défend surtout un credo: se différencier du maelstrom ambiant et pratiquer le «journalisme augmenté »: « Nous nous emparons de ce que les autres médias ne traitent pas ou mal ! ».

La bombe Wikileaks

En attendant une définition académique de ce concept, ce qui augmente, indéniablement, ce sont les stats! Sous l’effet de la bombe Wikileaks notamment, mais pas seulement. «Sur les 30 derniers jours, la fréquentation atteint 1,1 million de visiteurs selon les chiffres de google analytic», se félicite Nicolas Voisin.

L’audience, c’est fondamental mais cela ne nourrit pas son bloggeur! L’intérêt que porte désormais à owni de grands patrons tel Xavier Niel de l’opérateur Free – il a fait son entrée dans le capital – n’en est que mieux accueilli à la «soucoupe». Pas question pour autant de perdre le contrôle des événements. « Nous n’avons ouvert que 12,73% du capital à des industriels des médias qui viennent participer à l’aventure. », précise le capitaine.

Vient en effet de débuter l’acte 3 de cette quête d’un eldorado numérique avec une levée de fonds d’1,5 million d’euros. Objectif: élargir le champ d’action sur les 18 prochains mois en développant les tous nouveaux ownipolitics, ownisciences et ownimusic. Et «créer deux nouveaux postes de travail salariés tous les trimestres pendant les 18 prochains mois».

Un narguilé avec Assange

« Nous expérimentons le « Digital Journalism » (datajournalism & information en réseau) et cherchons à comprendre le monde qui nous entoure sous un regard critique, constructif et technophile. », plaide la charte d’owni. Une notion encore bien obscure pour le béotien du webjournalisme.  «Il ne s’agit ni d’une révolution ni d’un nouveau journalisme mais d’une recherche et d’un traitement de l’information avec les outils d’aujourd’hui et pour les audiences actuelles», explique Alain Joannès, auteur d’un ouvrage sur le sujet.

Le responsable du pôle datajournalisme à Owni.fr, jeune homme discret au regard sérieux, a certes fumé un narguilé avec Assange dans un bar londonien mais préfère prêcher le « crowdsourcing», c’est-à-dire la conduite d’enquêtes par réseaux sociaux, véritable clé de voûte du journalisme augmenté. «Le journalisme citoyen sans professionnel a vécu. Il s’agit désormais de mettre à contribution la communauté pour faire quelque chose de réel dans un contexte de liquéfaction de la société.», explique Nicolas Kayser-Bril. C’est ainsi qu’owni a fait appel aux internautes lors des élections européennes afin de mettre en ligne la liste complète des bureaux de vote que le Ministère de l’Intérieur se disait incapable de fournir pour des raisons techniques…

Accès aux sources, complémentarité des compétences, sécurisation des données sont au cœur des convictions du responsable du pôle datajournalisme. «Si Julien Assange nous a contactés, c’est parce qu’après la sortie des Warlogs –ndlr : les documents de Wikileaks sur la guerre – d’Afghanistan, nous avons développé une interface technologique d’intelligence qui donne accès à 6 ans de guerre au travers de 75 000 documents afin de faire des Warlogs une enquête collaborative européenne. Un système de notation par les internautes permet de faire remonter les informations les plus intéressantes. Mais il faut bien sûr que les journalistes s’emparent des infos! »

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