Vers un «SEAFRANCE» à l’alsacienne?

Le paquebot COOP-Alsace prend l’eau de toutes parts. La nouvelle direction a beau écoper, son plan suffira-il à sauver cette «institution» régionale? Comment en est-on arrivé à ce point de non-retour? Que reste-t-il de l’esprit coopérateur dont on se targue dans la région? Etat des lieux.

CLAUDINE GIROD

Dans le landernau, cela s’appelait le «miracle de la Coop», capitale de Noël oblige. Après avoir constaté l’ampleur des pertes autour de la soirée choucroute des sociétaires, l’on vendait quelques actifs et l’on repartait pour un tour. A Dieu va! Oui mais, voilà, ces temps-là sont révolus. Définitivement.

La Coop, vénérable centenaire institution, si chère au cœur des Alsaciens, est désormais entre les mains d’un gestionnaire, d’un financier pure sucre. Aux commandes depuis le 5 novembre dernier, un banquier, en la personne de Christian Duvillet (ex LCL)  qui a hérité du dossier après que quatre PDG s’y sont abimés en moins de quatorze mois.

Dans cette affaire, les chiffres donnent d’abord le vertige. Chaque mois, COOP-Alsace perd deux millions d’euros. Les dettes du groupe atteignent quelque 123 millions d’euros. Sans parler de l’URSAFF et des difficultés conjoncturelles de trésorerie. Les 4250 salariés attendent de savoir à quelle sauce ils vont être mangés… Quant aux 160 000 familles de sociétaires alsaciens, elles assistent impuissantes à la mise en place d’un plan de sauvetage qui ressemble davantage à une restructuration en bonne et due forme.

Les chiffres donnent ensuite de l’eczéma… aux acteurs comme aux observateurs attentifs du dossier. Comme un leitmotiv, nos interlocuteurs de tous bords lâchent, tour à tour fatalistes, en colère ou dépités: «Personne n’est sûr d’avoir les bons chiffres. A commencer par les banquiers!» Le syndicaliste Laurent Hobel (FO) ironise: «Nous ne sommes d’accord que sur une seule chose: la tendance. Mais selon les modes de calculs des uns et des autres des intérêts, le montant total de la dette peut varier de 20 à 40 ou même à 60 millions!»

Quant à la comptabilité, elle est, elle aussi, entachée de nombreuses suspicions. «Nous n’avons jamais eu de comptabilité très claire», déplore encore le chef de file de l’intersyndicale. «En la matière, l’on passe en quelques mois de l’âge de pierre à celui du nucléaire! Un exemple: les DAF et contrôleurs de gestion nous ont toujours présenté les chiffres TTC. Maintenant, on nous les livre hors taxe comme c’est la pratique dans la grande distribution. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant; ils n’étaient pas au courant?!»

Et d’asséner : «Cette mauvaise gestion, nous la dénonçons depuis longtemps mais nous sommes en train de découvrir que c’est pire que ce l’on avait imaginé. Nous avons d’ailleurs lancé une procédure de droit d’alerte en 2010; hélas sans succès! C’est tout un système qui est en train de s’effondrer et ce sont les salariés qui vont trinquer…».

Un plan subi, faute de mieux, pas de vrai dialogue social, une absence de réelle méthodologie, aucun audit en cours, des suspicions de prévarication, des élus terrifiés par la menace d’une liquidation qui laisserait sur le carreau plusieurs milliers de personnes… L’épée de Damoclès qui repose sur la tête du deuxième employeur privé de la région pourrait bien se transformer en un couperet implacable.

On imagine aisément les conséquences sur l’emploi mais aussi sur le lien social. Car les magasins COOP ne sont pas seulement des commerces de proximité; ce sont aussi des lieux, vitaux pour les retraités notamment, où l’on vient prendre et donner des nouvelles du quartier, échanger les derniers potins du jour… De là à défendre le caractère d’utilité publique d’un tel réseau, il n’y a qu’un pas que l’ARSCA, Association régionale de soutien aux coops d’Alsace,* n’hésite pas à franchir en prêchant pour la création d’une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui chapeauterait les 160 magasins de proximité.

Dans une « lettre ouverte à tous les Alsaciens», l’ARSCA en appelle à l’économie sociale et solidaire pour trouver une solution économiquement viable et humainement décente. «Je vis à Weitbruch : 2800 habitants, 2 boulangeries, une boucherie, une Coop, pas de gare ni de poste, un service de bus anémique… Si la Coop ferme, les autres commerces suivront. Et que restera-t-il?», explique son président, Philippe Spitz. Avant de renchérir: «L’enjeu de la Coop dépasse la Coop! On ne peut pas dans le même temps déplorer la désertification des communes et des territoires, inscrire l’économie sociale et solidaire comme une priorité régionale – comme le défend Philippe Richert – et laisser faire le démantèlement programmé d’un Groupe emblème du mouvement coopératif alsacien».

La SCIC serait-elle la solution? Bien trop «révolutionnaire» aux yeux de la direction et des gestionnaires traditionnels, une telle option leur demanderait d’engager une véritable révolution culturelle. Et la faisabilité économique d’un tel montage est encore à l’étude. Mais surtout, ce projet ne remporte pas l’adhésion des syndicats qui refusent de « s’associer au démantèlement de la Coop ». Que faire dans ces conditions? «La solution ne viendra ni des banques ni de la direction. Il faut que les pouvoirs publics s’investissent.  Ils ont bien aidé les marchands d’armes de Manufrance… Pourquoi pas la Coop?», interpelle l’intersyndicale.

 

*ARSCA www.soutien-coop-alsace.org

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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