« Boulon précaire »/le Regard de Philippe Claudel
Publié dans l’hebdomaire le Un de mercredi 27 février
Un texte lumineux d’une lucidité époustouflante que nous livre en partage l’auteur des « Âmes grises » (2003), membre de l’Académie Goncourt depuis 2012
Morceaux choisis:
« Le XXIe siècle propose un autre type d’extermination, non plus massive et extérieure, mais individuelle et intérieure.
Nous avons soldé Dieu, pendu au clou les idéologies, remisé au clou les idéologies, remisé l’idée de nation, de contrat et de projet social dans des arrière-boutiques poussiéreuses dont nous paraissons avoir honte.
Nous sommes nus, exposés aux météores, aux révoltes d’une planète que nous avons malmenée, parvenus au bout d’une fragile planche d’un modèle économique que nous entreprenons de scier avec nos canifs.
Ne reste plus qu’à nous malmener encore un peu davantage. En inventant de nouveaux carcans, de nouvelles règles, en découpant ce qui est uni, en déstabilisant ce qui était sûr, en éliminant ce qui était solide, en préférant le mirage au réel, en laissant l’argent et ses serviteurs continuer à dérégler les affaires du monde et dissoudre nos rêves dans le bain acide des profits.
Expérience-limite. Expérience de nos limites. Hommes précaires, avant que de devenir hommes solubles. Friables. Rabotés. Poncés. Effaçables et effacés »